Didier
Frouin-Guillery, diptyque photographique extrait de la série Voir et être vu, 2016
© DFG
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“La demande de soins ou d’écoute
s’accompagne la plupart du temps d’une plainte, et c’est pourquoi la première
forme d’exhibition à laquelle tout clinicien est confronté est celle de la souffrance
qui tourmente le patient qui lui est adressé. Qu’elle soit directe ou
indirecte, clairement formulée ou à peine évoquée, il ne peut faire autrement
que de la regarder en face et de se laisser questionner s’il veut que le
symptôme évolue d’une façon ou d’une autre. Cette figure-là de
l’exhibitionnisme est centrale, elle est au cœur de la culture judéo-chrétienne
où les récits et les tableaux de souffrance dominent largement la scène
culturelle, et c’est pourquoi je vais commencer par là.
On a beaucoup glosé
autour de la neutralité ou de l’indifférence de l’analyste face aux plaintes de
l’analysant, au point d’en faire parfois la condition sine qua non de tout
travail psychique. Nous allons voir qu’elle ne signifie pas insensibilité :
certes, l’analyste se place a priori et concrètement en position tierce, avec
une certaine distance, de façon à donner la priorité à l’écoute. Mais dans et
par le transfert, il est pris dans les méandres de ce que Freud appelle la
pensée visuelle, la plus ancrée en nous, il est amené à jouer tous les rôles,
celui d’un miroir en particulier, ce qui veut dire que non seulement il est le partenaire
obligé de cet exhibitionnisme d’un type un peu particulier, mais encore il lui
faut jouer sur deux tableaux différents : se laisser toucher par l’affect
qui en résulte, et garder suffisamment la tête froide pour repérer les messages
auxquels il renvoie.”
Extrait de Voir - Être vu, chapitre S'exhiber,
pour montrer sa souffrance : Du masochisme à l'exhibitionnisme, Gérard
Bonnet, Presses Universitaires de France, Paris, 2005