Didier Frouin-Guillery, 1532 Larmes de terre, 1994,
terres blanches et terres rouges, cuites et cousues sur un poncho andin,
175 x 145 cm © DFG
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Dans un ailleurs poétique, dans cet espace de non-retour des signes ou dans cet usage des signes de l’autre comme in-signe, j’ai exploré durant une vingtaine d'années plusieurs chemins artistiques. Entre un contexte (celui d’un voyage initial et initiatique réalisé pendant trois mois dans les Andes, le point de départ de mon histoire) et une ligne de vie tracée depuis là-bas et jusqu'à aujourd'hui (une certaine façon de marcher ou d’opérer à partir de ce voyage), j'ai questionné plusieurs conditions d’apparition et de transformation d’un objet en objet artistique.
Dans ma pratique
d’artiste, la difficulté de l’emploi de l’objet a toujours tenu au paradoxe du
détournement lui-même. En tant que capture, le détournement est assimilé au
miroir du signe ; autrement dit perçu aussitôt, dans cette réflexion, soit
comme citation soit comme pastiche. Alors, pour avancer dans la question de
l’autre, pour parler le silence infini de son visage, j'ai voulu travailler à redoubler
mes captures (travailler à ce que Jacques Soulillou nomme le "ravissement"
des choses - cf. Ravissantes périphéries, catalogue Les Magiciens de la
Terre, Paris, 1989).
L'œuvre 1532
Larmes de terre contient ce double détournement et représente un aller-retour
perpétuel entre identité et altérité. Le poncho noir, objet déplacé d'un des
plus hauts plateaux andins, est devenu un moi-peau qui porte une histoire de
terres prélevées ici en Europe.
Ce sont des briquettes de terres cousues à vif sur le tissage indien, telles les
squames du paysage et de l’histoire parcourus par l’artiste.
La composition
de ce lien prend au passage la forme d'une sorte d’œuf ou d'oeil. Cet
"oeil" capte au centre notre regard de visiteur, ou de voyageur, et le
perd aussi dans la fente matricielle de notre imaginaire.
Ainsi pour
appréhender cette inconnue du visage, ou prendre le visage de l’inconnu de ce
voyage, c’est comme si un moi-même parti faire ailleurs avait laissé la place à
un ailleurs venu faire en moi-même. Pas de volonté d’appropriation dans mon
expression, pas de syncrétisme bricoleur pour une recherche d’effets… Il est
juste question de traduire et de nourrir l'expérience d'une ab'sens
inhérente à toute rencontre.
Je marche sur de
nombreuses traces là-bas, loin au Sud
où j’ai trouvé un gisement d’énergie et une réserve de sens, et ici, en mon centre, où j’ai reconnu des
appels à poursuivre le chemin dans l’ironie et la solitude des objets. L’andin a
reconnu la distance de son affranchissement comme j’ai mesuré moi-même
l’impossible fusion de mon franchissement.
Qu’aller
chercher dans les sociétés andines ? Comme dans toute espèce de voyage, un espace d’incompréhensibilité
éternelle (Victor Segalen), un espace vital pour l’artiste et le poète, et
non un espace de nostalgie ou d’illusion stériles. Qu’aller chercher sinon une
quête de diversité
contre l’adversité du monde.
Didier
Frouin-Guillery, 1532 Larmes de terre,
détail © DFG
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