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Entrée et sortie, triptyque photo,
extrait de la série
Silence !
Hôpitaux de Quimper
et de Rennes
© Didier
Frouin-Guillery, 2017
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En descendant sur un brancard les cinq étages de l'hôpital, par un
dédale de couloirs, il voit défiler au plafond toutes sortes d’appliques et de
grilles. Il se dit qu’il en ferait bien une nouvelle série photographique…
La lumière n’est pas encore tamisée quand
il arrive au bloc opératoire. Il s’allonge nu sur un billard étroit, on lui
attache les mains et les pieds, au cas où. On lui rajoute des repose-bras, car
ce billard est vraiment très étroit, et il apprécie ce confort improvisé. Puis
on le couvre d’un drap, et on lui pose sur le corps une étrange plaque noire, lourde
et souple, sauf à l’endroit du cœur, des jambes et de l’aine par où passent les
tubulures et les sondes, deux à l'aine droite, une par la gauche. Pour rester conscient et
coopératif avec le médecin, il n’est pas sous anesthésie, mais sous sédatifs et
morphine qui seront injectés autant que nécessaire, à chaque fois qu’il dira
que la douleur est trop forte…
Il suit toutes les étapes de l’intervention
sur un écran géant, il pense à un studio de télévision. Sur les bordures de cet
écran, sont incrustés de multiples petits tableaux de colonnes de chiffres, et
des ensembles de lignes sinusoïdales qui progressent et dansent comme sur une
partition de musique sérielle ou électro-acoustique. L’écran est partagé en
deux grandes fenêtres centrales qui lui rappellent la composition de ses
diptyques photographiques.
Sur la moitié droite de l’écran se déroule en temps réel le film radio de toute l’opération.
Sur la moitié gauche, il
voit les images de son cœur superbement reconstitué en 3D. La veille, il a
passé une échographie transoesophagienne et un scanner pulmonaire dont les
images de volume et de coupe servent à cette reconstruction en trois dimensions.
La reconstitution participe, au millimètre près et en profondeur, au repérage précis de
points visés par l’opération.
Il
voit alors son cœur dans plusieurs nuances de gris, en volume et en
suspension sur un fond noir. Le cœur se tourne et se retourne dans tous les
sens. Dans un box vitré au fond de la salle, un opérateur
informatique manipule les images demandées et pilotées par le cardiologue ;
ils communiquent tous deux par micro.
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Plié-déplié, diptyque photo,
extrait de la série
Silence !
Hôpital
Pontchaillou, Rennes
© Didier
Frouin-Guillery, 2017
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Tout
au long du travail, des chapelets de gommettes de couleurs noire, grise, rouge,
orange et jaune viennent se greffer sur le volume cardiaque. Il pense à un jeu
de go inédit pour lequel un code couleurs tracerait des lignes frontières à la stratégie mystérieuse ; alors qu’il ne s’agit que de marquer l’intensité des fréquences qu’utilise
le médecin sur sa machine.
A chaque moment décisif, il entend cette énigmatique
et triple commande : Stimulation - Gel
- Ablation. Et juste après le déclenchement d’un bourdonnement prolongé, il ressent
une douleur plus ou moins grande qui monte dans son thorax. Il fait signe comme il peut, avec
les pieds, avec le bras, on lui apaise cette douleur avec un peu plus de morphine, il remercie dans un murmure.
Cette commande est répétée au micro cent quarante fois. Elle précède tous les tirs
pratiqués par le chirurgien pour brûler les points de diffusion des désordres électriques de son cœur.
Sur
son ordinateur, l’opérateur joue, comme un architecte, de plusieurs projections,
perspectives et points de vue sur le cœur. En passant d’un point de vue extérieur
à un point de vue intérieur, le regard saute d’une image d’astéroïde désert, c'est-à-dire
sans rose ni renard, à la vision d’une grotte curieusement lisse et nue.
Et
dans d’étranges et incessants retournements d’images, il n’est pas étonnant de
croiser ici les formes molles de Dali, là quelques sculptures de Jean Arp, et même des
nanas de Niki de Saint Phalle, quand, au final, l’opérateur synthétise les
étapes du travail du médecin en ajoutant des couleurs pop art sur une série de cœurs rangée
en damier sur l'écran.
A la fin, à tendre le cou vers ces images
pendant les six heures d’opération, il a un torticolis, mais il n’a pas
vraiment vu le temps passer.
Avant de remonter dans sa
chambre, il dit au chirurgien, en lui racontant ses visions, qu’elles n'ont pas
pour cause la morphine, mais bien le trop-plein de sa mémoire artistique !