Ivresse, diptyque photo
© Didier
Frouin-Guillery, 2017 |
Les
huit sortes d’ivresse
La première est l’ivresse du singe ;
et il saute, et sournoise, et engloutit, et frétille pour les cieux.
La seconde est l’ivresse du lion ; et
il fait valser les pots autour de la maison, appelle son hôtesse une catin,
brise le verre des fenêtres de sa dague, et se montre capable de quereller
quiconque lui parle.
La troisième est l’ivresse du
pourceau ; lourd, gauche, et léthargique, il crie pour qu’encore on lui
donne un peu à boire, et qu’on l’emmaillote.
La quatrième est l’ivresse du mouton ;
sage dans son idée, quand il ne sait trouver le mot juste.
La cinquième est l’ivresse du
larmoyant ; quand un individu pleure une bienveillance, perdu dans les
flots de la bière, et vous embrasse, et dit : « Par Dieu, capitaine,
soyez loué. Allez votre chemin ; vous ne penserez point si souvent à moi
que moi à vous ; je le ferais, (s’il plaisait à Dieu), je ne pourrais Le
louer aussi, comme je le fais » ; alors il se met un doigt dans
l’œil, et pleure.
La sixième est l’ivresse de Martin ;
quand un homme est ivre, et qu’il absorbe sa sobriété, et qu’il en tremble.
La septième est l’ivresse du bouc ;
quand, dans son ivrognerie, il n’a plus d’autre but que la dissipation.
La huitième est l’ivresse du renard – quand
son ivrognerie se fait ruse, à la façon des Hollandais, qui ne traitent leurs
affaires qu’en état d’ébriété.
Thomas Nashe, 1592
Thomas
Nashe, né en 1567, est un célèbre satiriste anglais de l’époque élisabéthaine, auteur
de pièces de théâtre, poèmes, romans et pamphlets.