mardi 24 janvier 2017

Ivresse





 
 
Ivresse, diptyque photo
© Didier Frouin-Guillery, 2017
 
 



Les huit sortes d’ivresse

La première est l’ivresse du singe ; et il saute, et sournoise, et engloutit, et frétille pour les cieux.

La seconde est l’ivresse du lion ; et il fait valser les pots autour de la maison, appelle son hôtesse une catin, brise le verre des fenêtres de sa dague, et se montre capable de quereller quiconque lui parle.

La troisième est l’ivresse du pourceau ; lourd, gauche, et léthargique, il crie pour qu’encore on lui donne un peu à boire, et qu’on l’emmaillote.

La quatrième est l’ivresse du mouton ; sage dans son idée, quand il ne sait trouver le mot juste.

La cinquième est l’ivresse du larmoyant ; quand un individu pleure une bienveillance, perdu dans les flots de la bière, et vous embrasse, et dit : « Par Dieu, capitaine, soyez loué. Allez votre chemin ; vous ne penserez point si souvent à moi que moi à vous ; je le ferais, (s’il plaisait à Dieu), je ne pourrais Le louer aussi, comme je le fais » ; alors il se met un doigt dans l’œil, et pleure.

La sixième est l’ivresse de Martin ; quand un homme est ivre, et qu’il absorbe sa sobriété, et qu’il en tremble.

La septième est l’ivresse du bouc ; quand, dans son ivrognerie, il n’a plus d’autre but que la dissipation.

La huitième est l’ivresse du renard – quand son ivrognerie se fait ruse, à la façon des Hollandais, qui ne traitent leurs affaires qu’en état d’ébriété.

Thomas Nashe, 1592

Thomas Nashe, né en 1567, est un célèbre satiriste anglais de l’époque élisabéthaine, auteur de pièces de théâtre, poèmes, romans et pamphlets.